objet-mémoire-objet
dans
la nudité de l'exil
je parcours mon chemin
ma route
déroutée
sur la superbe corniche sinueuse
des devenirs
dans
la fraîcheur de ce qui est
et qui ne sera plus demain
je me souviens d'une odeur
fraîche
mais c'était comment
mon expression m'échappe
les souvenirs se momifient
les mots se rarefient
j'entre dans une autre langue
et
je réside dans cet entre-deux
entre-acte
entracte
pause
mettre pause sur sa vie ?
je
réside dans la substance
de ce qui fut mon exil
odeur d'antan
souvenirs crus
ressassés ramassés au coin de mon oreille
et
je n'oublie plus
ma
substance se disloque
au cours de ces voyages
terrestres inimaginables
dans la profondeur de ce qui est
le souvenir de cet objet
qui fut mien
où est-il maintenant ?
et,
à force de poser cette question
le maintenant n'a plus de sens
et l'atome vient de là
joutes sonores
juxtaposent des mots dans mes bras
résonance encore
pour des lendemains puisés dans l'antan
l'objet
est pourtant précis
dans mon imaginaire
fait de boucles
et de surboucles
et encore de boucles
et
je veux une mémoire pour cet objet
dont je ne me souviens plus
un ourson rouge,
un journal,
des lettres oubliées au fond de l'armoire
que sais-je ?
dans
ma mémoire ébréchée
le passé se construit
sans lendemains
je vais avec l'objet
dont je ne me souviens plus
ce qu'il a été,
aujourd'hui,
simple chimère
et
de cet exil lointain si proche mes parents
m'envoient ces lettres
leurs lettres qui ne seront jamais miennes
leurs lettres
mes yeux ne pleurent plus
mes yeux oublient l'odeur du papier
quelle correspondance entre l'écriture
et ce qui est encore en moi ?
mes yeux ne sont plus
ils ont changé
subrepticement
dans
ces lettres, des dates, des précisions
écriture penchée de mes parents
racontent, au jour le jour le calvaire
qui dura longtemps
pour eux,
encore plus pour nous
ce
calvaire proche de nous
est maintenant notre cocon
et je me débats avec ces objets
papiers jaunis par le temps
mais que fait le temps à me pourchasser de la sorte ?
que ne règle-t-il une fois pour toutes
les odeurs d'antan
qui résidaient dans un endroit bien au chaud
et qui maintenant ne sont plus rien
cet
objet quel est-il ?
puis-je parler d'un seul objet
lorsque cet état d'unicité n'existe pas
cet état de choses n'a jamais existé
lorsque tout est fait pour mourir
lorsque tout se meurt
dissolu dans le temps
et tout vit
encore dissolu dans le temps
mais
cet objet est encore
malgré sa dissolution dans le temps
encore là
partie vengeresse de cette vie
qui me dit les choses avec des yeux tout ronds
et puis me hurle non
et
moi, cet objet est en moi
cristallisation
le faire émerger
est-ce possible?
dans la quiétude de mon chez moi
je le porte toujours
moi l'éternelle voyageuse
ai phagocité tous ces objets
il
y en avait tellement cette nuit-là
choisis par moi
tellement d'objets
avant qu'ils n'entrent
eux
qu'ils ne les cassent
eux
il y en avait tellement
avant
quoi ?
le
bruit des bottes rentre dans la maison
s'impose dans la chambre
ma soeur s'en souvient
moi aussi
mémoire partagée dans la chair
la
mémité des souvenirs
au-delà de ce que d'autres peuvent dire
ces images sont en moi
sont en elle
aussi
m'ont façonnées
l'ont amenée au bord de la folie
m'ont réperées
l'ont entravée
je suis aussi devenue elles
nous sommes devenues elles
et elles nous
chacune à sa façon
cet
objet pointe le bout de son nez
souvenir meurtri gardé au fond de moi
bruit des bottes militaires
et chasses d'eau dans la nuit sans fin
ma mère se vide
et je l'entends
la chasse d'eau
combien d'eau ainsi partie
perdue pour tous
les geignements sourds dilacèrent les parois de la maison
le cliquetis des armes
ces jeunes recrues
font leur travail
simplement
ils emmurent dans la nuit
une mère et ses trois filles
le
père n'est plus
le père a disparu
dans sa bermuda bleu ciel
sa cicatrice à la jambe
accident de chasse
la bermuda n'est plus là non plus
vide presque absolu
voilà le début de mon objet
image de ce scintillement
une
voiture de police
et puis plus rien dans la vélocité de cette nuit-là
j'approche mon objet
qui est enfoui dans cette nuit
le début de tout
cette nuit où tout s'envola
où je restai là à regarder
mon monde s'en aller
vers une destination sans nom
une destination où j'ai dû aller
pour le retrouver
sans jamais le ravoir
des
policiers en civil interpellent mon père
dans cette nuit
si chaude
si belle
nuit emplie de sons de macumba
le tambour résonne
j'ai peur
la
peur vient de l'objet
qui est dans la maison
qui disloque celle-ci en la laissant à sa place
des objets qui ne font qu'un avec moi
des objets qui me torturent
pendant combien de temps
cette armoire resta-t-elle ouverte
avec ce cliquetis d'armes
devant ces trois lits d'enfant
qui font semblant de dormir
d'enfants qui ne veulent pas savoir
d'enfants qui ne veulent pas voir
et pourtant
l'objet
est là
étincelant dans la mémoire
épuisé dans sa profondeur
le métal parle
et dans une langue inconnue
l'objet se métamorphose
prend source dans cette nuit-là
fable que je raconte
ma fable
encore et encore
pour situer la clé
identifier la porte d'entrée ou de sortie
cette nuit qui fut la première et la dernière
cette nuit qui me scinda en deux
cette nuit où je fus deux et plus encore avec les objets
et
dans cette alcôve
je me noie doucement
sans faire du bruit
ça y est !
j'approche mon objet
composé de milliers
que dis-je !
de millions
de détails
sonores
visuels
personnels
et je me vide de ma substance
je
ne sais si j'en aurai une autre
lorsque je rentrai dans l'avion
vers une autre vie
possible
vers une autre vie
peut-être
dans une autre langue
sans doute
et
moi je suis
dans une langue
en pensant à une autre langue
et en décrivant dans cette langue
les souvenirs extérieurs à cette deuxième langue
mémoire refaite avec
cet objet qui me dit
sans langage connu
désormais ma nature
je
n'en ai plus
plus de chez moi
plus d'endroit où aller
plus de toujours
que des peut-être
ces nouveaux objets qui me narguent
qui me testent
et qui me délaissent sans leur réponse
je
n'ai aucune réponse
la réponse est dans l'objet de cette nuit
la porte
cette porte que je n'ai pu trouver
m'échapper pour aller n'importe où
dans la douceur de la nuit
arrêter cette invasion d'objets
qui me cloua si durement dans mon lit
pas de réaction
les
objets changèrent
et pourtant
il resta toujours celui-là
cette chose indicible
entendue ressentie
chose sans nom
cette nuit-là
une seule nuit
qui me défit à jamais
un seul et permanent
bruit de cliquetis
un seul et pour toujours
soldat
aux ordres
qui ouvre l'armoire
ma mère à l'entrée impuissante
derrière la porte une glace
où scintille dans un instant précis
pour moi à tout jamais
la lumière de l'arme dans la glace
vinrent
ensuite
le français
le flamand
l'anglais
l'espagnol
la sérénité de dire
écrire
mais toujours reprend
seul
le leitmotiv
de cet objet
si complexe
si monstrueux
dans la chaleur de cette nuit
incomparable
nuit de semblants
nuit de faux pas
nuit de cliquetis métalliques
pour
parler de mon objet
j'entre dans les textes
dans la poésie pour mieux le dire
ainsi j'épouse ses formes
ses aspérités
pour mieux m'en nourrir
pour mieux raconter
et extraire ce qu'il y a à extraire
pour mieux me nourrir
de la sève de l'objet
toujours
et toujours
cette nuit-là pointe
mon objet
féérique y est enfoui
nuit unique
celle-là aussi
où le scintillement de l'arme
plonge dans mon regard
s'inscruste dans ma mémoire
et devint l'objet
qui fait partie de moi,
exilée
Ana
Rossi
Avignon, mai 2009
ahrossi@yahoo.fr
www.anarossi.org