Approcher
l’outre-langue et ses variantes dans l’écriture
et la pensée des auteurs multilingues qui mettent en scène
la présence de l’autre dans le même, c’est
réfléchir sur une langue accomplissant un travail
de minage souterrain, une langue de passage, une langue visée
à l’horizon ou en d’autres termes une langue
dessinant « un espace vide où se joue(nt) le(s) désir(s)
de l’autre langue » (Alexis Nouss, entrée «
Outre-langue » dans Métissages, Paris, Pauvert,
2001).
Offrant une possibilité de quitter la langue maternelle,
naturelle ou partagée pour introduire une interférence
active, une modification réciproque entre les langues réelles
et les langues désirées, oubliées, anticipées,
attendues ou fantasmées, l’outre-langue témoignerait
d’un surplus non-maîtrisable de langue, introduisant
ainsi une rupture entre le signifiant et le signifié. L’outre-langue
pourrait également provoquer une mise en rapport entre
les langues peuplant toutes un espace ouvert sur l’infini,
là où les mots demeurent en relation, sans pouvoir
être absorbés par la signification. Qu’elle
soit une langue sacrée intraduisible, un cri pré-verbal,
une entité hybride forgée par un écrivain
bi- ou multilingue (au niveau lexical, sémantique, syntaxique
ou narratif), une troisième langue du traducteur, une langue
peuplée par l’ensemble des destinataires potentiels,
l’outre-langue sert à l’introduction de l’autre
dans le même ou à l’ouverture à l’autre,
n’imposant ni fusion ni synthèse, mais montrant des
frontières à traverser.
Comment une telle dynamique s’infiltre-t-elle dans l’univers
narratif et dans la réflexion? Faut-il restreindre l’outre-langue
à l’activité littéraire ou la poser
comme problème de portée générale
? Est-elle propre aux sujets multilingues ? Peut-elle être
pratiquée ou fantasmée par tout individu unilingue
? Comment travaille-t-elle la constitution de l’identité
? De quelle manière contribue-t-elle à la croissance
du sens? Affirme-t-elle plutôt la non saturation de ce sens
? Par quels moyens crée-t-elle les lieux d’ouverture,
de passage, de démarcation et de traduction ? Comment permet-elle
de quitter la langue standard qui se narre selon sa logique interne
autosuffisante et ne phrase que l’expérience de l’entre-soi
?
Comment situer l’outre-langue ? S’agit-il d’une
langue distanciée, travaillée par la distance (Bakhtine),
ou d’une langue qui se manifeste plutôt dans la proximité,
qui hante et inquiète le même dans le même
(Lévinas) ? Traverse-t-elle les frontières entre
les langues ou maintient-elle les séparations pour assurer
les passages ? Touche-t-elle les territoires des autres langues
ou habite-t-elle les zones vides, les non-lieux où tout
est encore à venir ?
Responsables
: Alexis NOUSS, Aurélia KLIMKIEWICZ
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