On
se souvient du tremblant incipit de ce livre : « Enlever
à un peuple l’homme qu’il honore comme le plus grand
de ses fils […]. » En effectuant cet enlèvement
à l’origine, en essayant de montrer que Moïse était
étranger au peuple hébreu, Freud a légué
dans son dernier ouvrage une construction qui oppose à
l’autofondation du propre, à sa clôture,
l’hospitalité originaire du « grand étranger
» (ainsi qu’il surnommait Moïse) comme condition
de la civilisation. Toute religion, toute culture, toute communauté
de mémoire ou de langue ne peut être Soi à
son commencement, ne peut venir à Soi avant d’avoir fait
l’épreuve de l’Autre et de l’Etranger. C’est pourquoi
le propre de Soi est une résultante dont la condition
est une impropriété originelle.
Fethi Benslama, La Psychanalyse à l’épreuve
de l’Islam, Paris, Aubier, 2002, p. 31.
Fille d’un travailleur immigré installé à
la Houillère, minuscule hameau à l’orée d’une
forêt des Vosges, dans le département du Doubs, je
suis désignée comme « zmigria » à
Constantine, en Algérie, quand je décide d’effectuer
mon premier cycle dans cette vertigineuse ville des ponts du nord-est
algérien. Mes élèves m’appellent «
l’Algéroise » dans ce lycée de Tamanrasset
où j’exerce en 1991, puis mes confrères journalistes,
la « Nordiste » à la Radio N’Ahaggar de cette
ville garnison de l’extrême sud algérien. En 1993,
à Alger, journaliste, je me fonds dans l’anonymat citadin
et à ma signature, l’on me croit kabyle et homme (peu de
gens connaissent le prénom Djemaa, typique de l’Est et
du Sud du pays). A Paris, sans papiers, en 2002, l’on me prend
pour une « Française intégrée ».
A Montréal depuis 2003, mes travaux universitaires que
je reprends, après quatorze années de vagabondage
dans la « vraie vie » (Claire Etcherelli), égrènent,
dans leur trame réflexive, ce parcours de nomade, d’exilée
qui s’enracine et aime (ainsi que le chante Zebda) être
« chez les autres » comme chez soi.
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