Nés
dans une monarchie, mes parents allaient vivre une quarantaine
d’années dans un régime odieux et hideux,
pour finir leurs jours dans une caricature de démocratie
dont un des premiers effets fut le départ à
l’étranger de deux de leurs trois enfants. Très
aisée, la famille de mon père allait être
ruinée à la suite de la jolie collectivisation
de l’agriculture qui commença en 1949 et qui n’était
que le début du cauchemar socialiste / communiste
des Roumains. C’est ce que mon pays me rappelle : une enfance
et une adolescence privées de tout (sauf de livres
!), et surtout des queues infinies - partout, à n’importe
quel moment du jour ou de la nuit, souvent sans savoir pourquoi
on faisait la queue, mais s’y rangeant avec l’espoir de
pouvoir acheter quelque chose à manger...
Je relis ma phrase. Cela me semble tellement éloigné
! Et pourtant, c’est ce que je faisais il y a vingt ans...
Je rêvais d’un ailleurs qui me redonne le sentiment
d’appartenir à l’espèce humaine, qui me porte
loin de cet endroit-là où l’on se battait
pour son « pain quotidien » comme des animaux
auxquels on jette - just for fun, you know - un morceau
de viande ou un os...
J’ai grandi donc au bout d'une Europe pour laquelle j'ai
toujours été une « étrangère
», et qui m'est étrangère... De l'extérieur,
nous étions des membres du bloc communiste. Après
décembre 1989, nous devînmes des citoyens d’un
ancien pays communiste – ou du bloc de l'Est, étiquette
que nous portons toujours, où que nous allions, accolée
à nos noms, à notre accent et à nos
mœurs balkaniques, à nos cauchemars et à nos
petites joies.
Je commence à vieillir dans cet ailleurs dont j’ai
tant rêvé, et qui n’est pas, pourtant, mon
rêve. Petit à petit, je me rends compte que
cet ailleurs n’est que moi-même - changeant, me transformant,
enrichissant mon esprit (pas mes poches !), vivant mon identité
comme une altérité et l’altérité
comme mon identité, essayant de comprendre les possibilités
de la poésie d’explorer le poids et le poison de
l'EXIL, sa fonction polémique, politique, polyvalente
en tout cas, et potentiellement positive...
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